sourds-muets. Sergey, nouvel élève, va très vite découvrir les
rites des bandes de cette école, comprenant trafic, agressions
collectives et prostitution. Au fur et à mesure, Sergey parvient à
gravir les échelons et devient le nouveau proxénète. Mais très
vite, il tombe amoureux d’Anna, l’une des prostituées.
Tribe, film violent et en
langage des signes non sous-titré, n’est que le déroulement logique
du travail de Myroslav Slaboshpytskiy. En effet, il semble dire adieu
au langage après son court métrage Diagnosis
(2009), où le dialogue oral ne sert qu’à annoncer froidement à une
femme qu’elle et son enfant ont contracté le virus du SIDA, ou à
proférer des menaces et à préméditer le meurtre d’un nouveau né.
Le dialogue oral est abandonné dans ses œuvres suivantes tels que
Nuclear Waste
et surtout Deafness,
court-métrage à l’origine de The Tribe. Car oui, Myroslav
Slaboshpytskiy a construit Deafness sur un seul plan séquence
de dix minutes, laissant déjà ses personnages évoluer dans une
école spécialisée pour sourds-muets. Il s’agissait d’un
environnement presque aussi malsain que celui de The Tribe, où
le trafic et la violence étaient aussi présents.
L’abandon du langage parlé s’ajoute aux décors macabres: dans
Diagnosis, l’hôpital ressemble à une prison et les maisons
abandonnées se transforment en repères à junkie. Dans Nuclear
Waste, nous découvrons un décor froid où seules les machines
paraissent vivantes. Dans Deafness, les murs sont recouverts de tags.
La violence omniprésente et l’utilisation des plans-séquences
mènent au résultat splendide – bien que parfois difficile à
regarder – qu’est The Tribe.
centrale nucléaire dans Nuclear Waste
Les plans séquences sont maîtrisés à la perfection et la mise en
scène est très claire. Un sujet correspond à un plan, et vice
versa. Filmé à la steadycam, le rendu est très fluide et naturel,
on voit les personnages se développer et évoluer dans cette
l’école.
En d’autres termes, la caméra les laisse vivre, libres. Les personnages doivent do faire leur propres choix : de faire du mal pour s’intégrer au groupe, de se
prostituer pour quitter le pays, de garder un enfant ou de se
faire avorter.
Le message est clair : nos choix dépendent en
grande partie de notre connaissance, notre vécu et notre
expérience, et nous servent à prendre des décisions.
Ces
connaissances sont acquises en partie à l’école. En ne filmant
qu’une seule scène scolaire, Myroslav Slaboshpytskiy parvient à
souligner son importance. On oublie presque que ce film se déroule
dans une internat, car toute cette violence semble refléter le
message du réalisateur : voilà ce qu’il se passe
lorsque l’on ne sait pas faire ses propres choix, que l’on subit
la volonté des autres, comme un mouton.
L’utilisation de la langue des signes sans sous-titres est très
réussie. Il n’y a pas un seul dialogue oral dans The Tribe.
Tout comme dans Deafness, les seules paroles émises sont
filmées à travers une vitre ou couvertes par des bruits de voiture, elles sont donc inaudibles. Dès lors, chaque porte qui se ferme,
chaque bruit de pas, chaque cri de douleur devient aussi agressif que
les personnages.
Quand toute cette violence semble les déshumaniser,
la langue des signes nous rappelle que leur comportement est humain.
En effet, malgré la barrière qui nous sépare (nous ne les
comprenons pas, et eux ne perçoivent pas tout les bruits que l’on
entend) nous les comprenons. Grâce à cette
langue universelle que Slaboshpytskiy met en avant: celle du corps.
Sans saisir leur langue des signes, nous ressentons leur peur et leur
inquiétude, leur colère et leur amour.
C’est ce qui fait la force
du film.