
Oui, tu te recycles, et en un sens, on ne peut pas vraiment te le reprocher, après une cinquantaine de longs métrages. Devant Wonder Wheel, je me suis souvenue d’un bon documentaire que j’avais vu sur ta vie et ton travail.
Oui, tu te recycles, et en un sens, on ne peut pas vraiment te le reprocher, après une cinquantaine de longs métrages. Devant Wonder Wheel, je me suis souvenue d’un bon documentaire que j’avais vu sur ta vie et ton travail.
Misako prête sa voix à l’imaginaire des spectateurs aveugles et leur décrit des films. Elle écrit le texte et le dit à mesure que l’image défile.
Vers la lumière n’est pas seulement une réflexion sur la difficulté de l’audiodescription. C’est une réflexion sur l’écriture au sens large, sur l’impossibilité de décrire avec exactitude les choses et les émotions. Le film illustre, en cela, la célèbre phrase de Beckett :
Words fail us.
Les mots nous manquent.
Entendre Misako décrire un film dans la première scène, c’est un peu comme entendre Truffaut en voix off commenter ses propres images. La mise en abyme est immédiate, puisque dans la salle, nous sommes tous spectateurs. Il faudrait presque fermer les yeux pour vivre l’expérience de la cécité, et se laisser guider par la voix de Misako.
Mais hélas, on raterait le questionnement central de Vers la lumière. Le film décrit par Misako montre un vieil homme face à la mer, et elle dit de son regard qu’il « déborde d’espérance. »
Voilà le hic. Ce n’est pas comme ça que je lis le regard du vieil homme. Je ne le trouve en rien empli d’espoir. Il pourrait être triste, nostalgique, désespéré, même, mais certainement pas débordant d’espérance.
Misako en a trop dit. Elle recevra les critiques de spectateurs aveugles qui la conseillent sur l’écriture de son texte. Elle se fera surtout réprimander par Masaya, photographe de talent en passe de perdre la vue.
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Masaya (Masatoshi Nagase) dans Vers la Lumière (Hikari) de Naomi Kawase (2017) |
Misako a commis le crime de sa profession : empiéter sur l’imaginaire du public.
L’une de mes amies travaille comme médiathécaire pour les aveugles et les gens empêchés de lire. Je n’avais pas compris, jusqu’à Vers la lumière, pourquoi elle défendait si ardemment la voix de synthèse pour les audiolivres. Elle argumente que seule la voix de synthèse, parfaitement neutre, permet au malvoyant de faire sa propre lecture du texte, d’en tirer sa propre interprétation.
Dans Vers la lumière, Naomi Kawase offre une leçon éclatante aux écrivains mais aussi aux critiques de cinéma, ce qui explique peut-être l’accueil mitigé du film à Cannes.
La réalisatrice nous dit en substance : Êtes-vous sûr.e de ce que vous avez vu ? Êtes-vous certain.e que votre interprétation est la bonne, ou même qu’elle est pertinente ? Ne plaquez-vous pas votre grille de lecture personnelle sur un film qui dit tout autre chose ?
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La réalisatrice Naomi Kawase |
Après avoir écrit plus de 400 articles en trois ans sur ce blog, je vois la difficulté de donner la lecture d’un film par écrit, surtout lorsqu’il s’agit de sujets brûlants ou d’un film à lectures multiples.
C’est, comme pour Misako dans Vers la lumière, le public qui me rappelle la relativité de mon interprétation. Vos commentaires me disent quotidiennement à quel point un film change de sens en fonction de celui ou celle qui regarde.
Alors je vous le dis sans détour : le film de Kawase est magnifique. Et quand je dis « le film de Kawase est magnifique » je ne dis rien de plus que « J’ai trouvé le film magnifique. » Je n’impose pas mon point de vue, je le propose. Le film a été reçu moyennement à Cannes, ce qui veut dire, bien sûr, qu’on peut ne pas être touché.e. Mais Hikari, de son titre original, est encore meilleur que Les Délices de Tokyo, de la même réalisatrice.
Vers la lumière porte bien son titre. La photo est splendide, les paysages somptueux. La quête du père pour Misako est peut-être trop appuyée et convenue, mais sa rencontre avec Masaya est extraordinaire. Entre celle qui souhaite affûter son regard et celui dont le regard se brouille naît une amitié particulière.
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Masaya (Masatoshi Nagase) et Misako (Ayame Misaki) couple de Vers la lumière |
Le drame intime de Masaya, dont le métier de photographe représente toute sa vie, est bouleversant.
Vous connaissez le questionnaire de Proust ? A la question « Quel serait votre plus grand malheur ? » Il a répondu :
« Devenir aveugle. »
Cette trouille est fréquente, notamment chez les artistes. Parce que j’écris, j’admets que la cécité m’effraie également. Comment écrire sur le cinéma quand on n’y voit plus ?
D’où mon empathie pour Masaya, qui doit renoncer à sa passion parce qu’il perd la vue. Je sais bien que perdre la vue n’est pas perdre la vie. C’est en trouver une autre par les autres sens, et elle peut être riche… et belle. Mais ce n’est pas le propos de Vers la lumière.
Naomi Kawase me dit que je suis la seule à voir le film que je vois. D’aucuns m’en voudront que ma lecture n’épouse pas la leur, et pourtant, je continuerai d’écrire.
J’espère vous avoir donné envie de voir Vers la lumière, ma palme du cœur pour Cannes 2017.
Dites-moi si vous ressentez la même chose. Ou non. Racontez-moi quelle est votre palme du cœur. Et si elle est autre que la mienne, donnez-moi envie de changer de regard.
J’attendais beaucoup du Musée des merveilles. Son titre me faisait rêver, son affiche aussi.
Todd Haynes promet, avec Wondetstruck (littéralement « frappé par l’émerveillement ») de la magie, et une certaine idée du temps.
Ben, 12 ans dans les années 70, perd à la fois sa mère et son ouïe un soir d’orage. Il part en quête de son père, qu’il ne connaît pas, à travers New York.
Dans les années 20, une petite fille, Rose, elle aussi sourde, arpente les rues de la ville à la recherche d’une actrice adulée.
Passant d’une époque à l’autre, du noir et blanc à la couleur, Le Musée des merveilles fait constamment des bonds dans le temps, un vague symbole liant les deux époques, les deux parcours, chaque fois. Les transitions sont maladroites, et ce va-et-vient fatigue.
Que dire d’autre ? Guère plus. Todd Haynes a toujours un grand sens de l’esthétique, mais après le magnifique Carol, Le Musée des merveilles, malgré sa recherche dans la reconstitution et les décors, semble bien fade. L’amitié entre Ben et Jamie, petit garçon rencontré au musée, tourne court.
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Ben (Oakes Fegley) et Jamie (Jaden Michael) dans Le Musée des merveilles, de Todd Haynes (2017) |
On a la sensation, devant Le Musée des merveilles, que Todd Haynes a réalisé un joli film qui ne raconte pas grand-chose. C’est fort dommage, car la réalisation est soignée. Les plans en contre-plongée sur les immeubles new-yorkais rendent parfaitement le voyage à hauteur d’enfant. On reconnaît vite l’auteur d’Hugo Cabret, son univers et sa vision de l’enfance.
Haynes aurait peut-être dû choisir entre l’hommage au cinéma muet – notamment l’expressionnisme allemand façon Fritz Lang – et la nostalgie des années 70 et sa BO pêchue.
On ne sait pas trop sur quel pied danser (presque au sens littéral) devant Le Musée des merveilles, même si l’histoire se suit sans effort.
De la surdité, Todd Haynes ne tire pas grand-chose, quand Naomi Kawase nous offrait dans Vers la lumière (également sélectionné à Cannes) une réflexion brillante sur la cécité.
À part le pari esthétique largement remporté, Todd Haynes se perd dans un film ennuyeux, qui manque d’enjeu et de rythme. C’est pourtant un plaisir de découvrir les jeunes acteurs Oakes Fegley, Millicent Simmonds et Jaden Michael, et de revoir Julianne Moore à l’écran.
La fin du film se noie aussi en explications. Étonnamment, on ne s’attache pas assez au personnage de Ben pour le suivre jusqu’au bout dans sa quête du père, qui était aussi le thème d’Hugo Cabret. Mais quand Scorsese rendait un hommage éclatant au cinéma des origines, en présentant un Georges Melies passionnant, Todd Haynes a du mal à réaliser un film à partir d’un scénario aussi mince que celui du Musée des merveilles.
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Hugo (Asa Butterfield) et Isabella (Chloe Grace Moretz) dans Hugo Cabret, de Martin Scorsese (2011) |
La nostalgie de l’enfance ne suffit pas. Une reconstitution, aussi réussie soit-elle, n’est rien sans un bon scénario. L’ensemble, hélas, est mal construit, quand ces deux destins d’enfants devraient se répondre et s’éclairer l’un l’autre.
Le Musée des merveilles et une déception du festival de Cannes 2017. Il n’y a plus qu’à attendre le prochain film de Todd Haynes, et s’émerveiller pour de vrai.
Un avis, une réaction ? Dites-le en commentaire !
On ne compte plus les films américains qui nous mettent en scène un traumatisme à la con en introduction, pour expliquer les faits et gestes du héros ou de l’héroïne. L’Expérience interdite (Flatliners) n’échappe pas à la règle. Un topos dont on se passerait bien.
Courtney a perdu sa petite soeur dans un accident de voiture. Une fois étudiante en médecine, elle entraînera ses potes dans une « expérience interdite » histoire d’aller voir ce qui se passe après la mort.
« Je saute et je reviens. »
Ça vous paraît mauvais ? Ça l’est.
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Vous reconnaîtrez peut-être Oliver Platt, William Baldwin, Kevin Bacon, Kiefer Sutherland, et une certaine Julia Roberts, casting de L’Expérience interdite – Flatliners, de Joel Schumacher (1990) |
Pour la petite histoire, Kiefer Sutherland joue, dans la version 2017, un grand médecin qui forme la jeunesse. On peut de demander comment il a atterri dans cette galère, après son succès indéniable au cinéma et dans la série télévisée 24 Heures chrono.
A propos d’acteurs, la version 2017 est mal jouée, on y perd par rapport à 1990. Même Ellen Page est mal dirigée.
Surtout, quand Julia Roberts et Kiefer Sutherland nous faisaient croire à une véritable fascination pour l’après-vie (nul besoin de traumatisme bateau), la bande de 2017 donne juste l’impression d’une troupe de gamins qui joue avec la mort et trouve ça fun.
On retrouve hélas chez Niels Arden Oplev (par ailleurs réalisateur d’un épisode de l’excellent Mister Robot et du pilote de Midnight, Texas) les clichés habituels : la gentille, l’arrogant, la sexy (Nina Dobrev, pas vraiment en progrès depuis Vampire Diaries) le bon élève, l’introvertie, et blabla.
L’introvertie a d’ailleurs des scrupules qui gâchent le rythme et même la morale du film. Dans la première version, tout le monde était d’accord, donc responsable.
Dans ce remake (il est assez déprimant de faire un remake d’un film de Joel Schumacher, mais passons) les personnages sont trop sommaires pour qu’on s’y attache.
La réalisation ne sauve pas l’ensemble : les trucages sont proches de la série B.
L’expérience donne à Courtney des sortes de superpouvoirs de la mémoire, et du coup, tous veulent essayer.
Y en a même une qui saura résoudre un Rubik’s cube en 10 secondes. La classe.
Les deux versions de Flatliners jouent sur la culpabilité de chacun, mais la deuxième version frôle le ridicule : il suffit d’aller s’excuser, de prendre ses responsabilités, et tout va mieux. Les deux opus gardent aussi cette morale détestable et très américaine, celle de la loi du Talion – une vie pour une vie.
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