
Welcome to the hotel California
Nous sommes dans les années 70 et plusieurs clients arrivent à l’hôtel El Royale qui est à cheval entre la Californie et le Nevada. Jusque là, rien de bien étrange. Un des clients est un prêtre catholique. Plus curieux mais rien de plus. Que le réceptionniste soit absent très longtemps laissant un hall vaste et plutôt chouette est un premier signe d’étrangeté.
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Jon Hamm, Jeff Bridges et Cynthia Erivo dans Sale temps à l’hôtel El Royale de Drew Goddard (2018) |
En réalité, l’hôtel El Royale est un lieu tranquille pour qui ne veut pas y être trouvé. Sept étrangers vont s’y croiser durant une nuit d’orage à la fin des années 1970. Un curieux endroit avec ses miroirs sans tain où l’on vous y espionne bien tranquillement ! Le contraste dans les décors entre ce hall, ces chambres banales (à quelques détails près : ce que trouve Jon Hamm dans la sienne constitue presque un gag tellement la scène prend son temps !) et ce couloir sinistre, uniformément gris, où une caméra prend un plaisir solitaire à filmer en douce des clients qui ne se doutent de rien ; tout cela est à la fois esthétiquement réussi et symboliquement fort.
Bas les masques !
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Billy Lee (Chris Hemsworth) dans Sale temps à l’hôtel El Royale |
Ces révélations constituent la seconde partie du film, intense et incandescente. La violente monte progressivement et elle étreint le spectateur qui, comme les clients, se retrouve prisonnier de l’hôtel El Royale. On subodore que la devise de l’établissement commence par « Vous qui entrez… »
Jouons avec les codes
Sale temps à l’hôtel El Royale est doté d’un script implacable que l’on doit à son réalisateur Drew Goddard, scénariste depuis 15 ans formé aux écoles Joss Whedon (gage de qualité) et J.J.Abrams (gage d’efficacité). Dans La cabane dans les bois, sa première réalisation, Goddard (et son pote Whedon) revisitait les codes du cinéma d’horreur dans un style décalé assumant avec brio l’héritage de la pop culture. Sale temps à l’hôtel El Royale montre une continuité dans la démarche de son réalisateur : Goddard connaît par coeur les codes du film noir, se les approprie pour mieux les détourner ou les renforcer.
Il peut ainsi embarquer le spectateur dans un cauchemar éveillé bercé par une bande son géniale. Nourri à la pop culture, le réalisateur/scénariste rend hommage à la musique de l’époque. Il est symptomatique qu’un des personnages soit d’ailleurs une chanteuse. Le juke box, d’abord simple élément de décor, acquiert petit à petit une vraie personnalité. Il est le témoin privilégié – avec le bar, haut lieu d’épanchements – de confessions plus ou moins voulues.
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Deadpool quand il apprend que Drew Goddard va faire son prochain film |
Casting impeccable
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Drew Goddard, scénariste et réalisateur de Sale temps à l’hôtel El Royale |
Le personnage du manager, Janus fragile et brisé, est la représentation humaine de l’hôtel : lisse et propret en surface, sombre et voyeur sous la surface. Lewis Pullman rend parfaitement compte de cette dichotomie. Jon Hamm incarne un vendeur machiste. Ce rôle réussi bien que peu surprenant (Hamm a su jouer des machos mémorables, de Mad Men à Black Mirror) est logique étant donné la période. Le machisme et le racisme qu’il professe ouvertement renvoient à un temps pas si lointain.
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Emily Summerspring (Dakota Johnson) dans Sale temps à l’hôtel El Royale |
Et il y a Chris Hemsworth – déjà premier rôle dans La Cabane dans les bois – Magnétique, son entrée en scène sous la pluie est un coup de poing. Avec sa chemise ouverte, sous une pluie battante, un sourire aux lèvres, c’est un chat avançant vers les souris. L’entrée faite, l’acteur ne baisse pas la garde et se montre vraiment génial, machiavélique mais aussi cruel et inquiet. Toute sa prestation sent le soufre !