
Chevaliers très spéciaux
Dans la mise en scène de 1987 de Peter Sellars pour l’opéra Don Giovanni de Mozart, le séducteur du XVIIe siècle devenait un voyou de Harlem accro au sexe comme à l’héroïne.
Sellars nous rappelait que nous sommes maîtres de notre destin, et rejetait le déterminisme des origines. On peut être un gangster et avoir le tempérament d’un prince.
Alors pourquoi ne pas raconter l’histoire d’un Roi Arthur devenu chef de gang, et qui tient entre ses mains le destin du monde ? Qui mieux que Guy Ritchie, spécialiste en déboulonnages de statues du Commandeur, pour s’y atteler ?
Bon, faut pas le dire, mais Guy Ritchie nous refait Hamlet.
Mais revenons à Arthur. Élevé par des prostituées, il dirige un petit gang avec Bedivère (Djimon Hounsou) son bras droit . Après une pénible confrontation avec des Vikings alliés à Vortigern, sa destinée prend une nouvelle voie : il doit devenir le chef de la rébellion contre le roi fratricide.
Cette fois, Guy Ritchie nous fait un remake du Parrain.
Arthur se fera aider par une Mage (Àstrid Bergès-Frisbey).
On peut ne pas aimer Guy Ritchie, mais il fait partie de ces cinéastes qui ont réussi à forger un style personnel, immédiatement reconnaissable. J’étais curieux de voir comment dans Le Roi Arthur : la légende d’Excalibur, son style décapant allait se mêler à la légende arthurienne.
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Charlie Hunnam (Arthur) dans Le Roi Arthur : la légende d’Excalibur de Guy Ritchie (2017) |
Guy Ritchie fait-il son cinéma ?
Lorsque Ritchie nous raconte des histoires de gangsters, son montage ultra-rapide, ses effets tape-à-l’œil (ralentis et accélérés en tous genres), le gros son de la BO, les dialogues assassins… fonctionnent, parce que le milieu urbain de ces films correspond à ce style contemporain.
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Jude Law (Dr. John Watson) et Robert Downey Jr. (Sherlock Holmes) dans Sherlock Holmes, réalisé par Guy Ritchie (2009) |
Un mélange de Chrétien de Troyes et Snatch
La mise en scène de Le Roi Arthur : la légende d’Excalibur relève du pur Guy Ritchie : le montage full speed de l’enfance d’Arthur, l’interrogatoire du chef des Culottes noires qui juxtapose présent et flashbacks, personnages bourrus…
L’objectif du film était clairement de mélanger Chrétien de Troyes et Snatch. Les critiques ont surtout descendu le film à cause de cela. À mon sens, ils auraient dû reprocher à Ritchie de ne pas avoir respecté cet esprit jusqu’au bout.
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Charlie Hunnam (Arthur) et Àstrid Bergès-Frisbey (Le Mage) dans Le Roi Arthur : La légende d’Excalibur |
Irrespectueusement vôtre
Ken Russell fut un des premiers cinéastes à avoir mis en scène des personnages historiques de façon anachronique. Dans Lisztomania, il racontait la vie du compositeur-virtuose (joué par Roger Daltrey) sous la forme d’un opéra-rock bigarré.
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Kirsten Dunst (Marie-Antoinette) dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006) |
Guy Ritchie pris entre deux feux
Le Roi Arthur : la légende d’Excalibur n’est pas assez irrévérencieux, et je ne parle pas de la vérité historique, où les « arrangements » étaient attendus.
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Peter Ferdinando (Mercie), Annabelle Wallis (Maggie), et Jude Law (Vortigern) dans Le Roi Arthur : la légende d’Excalibur |
Mais Ritchie, chose inhabituelle, se prend trop au sérieux. Il aligne tous les poncifs de la Fantasy au premier degré. Ses personnages sont transparents, il n’use d’aucun sous-texte philosophique. La magie de son monde se réduit à des épées qui brillent, des colossaux animaux et des yeux (ceux de la belle Àstrid Bergès-Frisbey) qui s’illuminent en CGI. La photographie très sombre ne tire aucun parti des paysages, réels ou non. Bref, il n’a pas le brio de Peter Jackson.
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Àstrid Bergès-Frisbey (Le Mage) dans Le Roi Arthur : la légende d’Excalibur |
Charlie Hunnam et Jude Law, atouts du film
Pourtant, le film compte plusieurs atouts. D’abord son rythme infernal. Impossible de s’ennuyer tant les péripéties s’enchaînent vite. 120 minutes de film, sans aucun temps mort, il y a de quoi applaudir. Le film est certes très chargé, mais ne tombe jamais dans la surenchère.
Arthur est le grand atout du film. Il est porté par un Hunnam éblouissant de force physique, comme à l’époque de Sons of Anarchy. Il l’était aussi récemment dans The Lost City of Z de James Gray. Il s’agit d’un anti-héros qui refuse d’affronter son destin.
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Charlie Hunnam (Arthur) dans Le Roi Arthur : la légende d’Excalibur |
Jude Law en méchant (on remarque que dans Retour à cold mountain, Hunnam et Law jouaient les rôles inverses) est l’autre atout du film.
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Jude Law (Vortigern) dans Le Roi Arthur : la légende d’Excalibur |
Vortigern impressionne par son tragique et sa cruauté raffinée. En sacrifiant au sens propre l’amour au profit de la puissance, Vortigen agit comme les personnages des grands mythes occidentaux. L’horrible créature tricéphale qui fait passer à Vortigern ces odieux marchés, aux promesses et aux prophéties trompeuses, rappelle les trois sorcières du Macbeth de Shakespeare.
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Albérich maudit l’amour pour voler l’or du Rhin, toile de Franz Heigel (1866) |
Un blockbuster délavé
Pas à l’aise avec les codes de l’épique, Guy Ritchie échoue à y infuser son style. Le Roi Arthur : la légende d’Excalibur est un blockbuster délavé, dont le montage frénétique étouffe l’originalité. Il ne méritait pas, toutefois, son four critique et commercial : le duel des rois emporte l’adhésion grâce au soin accordé à l’écriture des deux personnages, et aux acteurs très investis. On préférera quand même Excalibur de John Boorman, voire Sacré Graal ! des Monty Python.