
Alors que faire ? Du cinéma. Un film engagé qui prouve que le Blanc n’accepte le Noir que s’il est docile, et correspond aux clichés habituels : l’Oncle Tom, la domestique soumise, l’homme discret habillé à la mode coloniale.
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L’un des personnages de Get Out, habillé à la mode coloniale |
Jordan Peele a tenu le pari : il a réalisé une allégorie sous forme de film d’horreur pour dénoncer les clichés des Blancs privilégiés sur les Afro-Américains, clichés qui sont aussi ceux d’Hollywood.
Soyons francs : à part le biopic (Ray Charles, Mandela…) et le récent Moonlight, quand est-ce qu’un Noir a eu un rôle nuancé au cinéma ? Un rôle où son personnage est complexe, profond, avec ses contradictions ?
Get Out devrait montrer l’exemple
Le gros défaut de Get Out est que Jordan Peele ne montre pas l’exemple : Chris, son héros, est un mec cool, souriant et diplomate. Il manque de failles, de vérité. Ce n’est pas un personnage complexe. Quant à son meilleur ami, c’est le Noir rigolo, vaguement trouillard et obèse que l’on voit partout ailleurs.
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Lil Rel Howery est Rod Williams, meilleur ami de Chris dans Get Out |
Jordan Peele prétend jouer avec les clichés, mais il plonge dedans tête baissée. Le frère lourd de Rose, fiancée de Chris, est aussi un stéréotype ambulant.
Au début du film, le racisme ordinaire est démontré de manière trop appuyée et moralisatrice, notamment lors du contrôle au faciès par le flic suspicieux.
Coucou Black Mirror !
C’est d’autant plus dommage que l’acteur principal, Daniel Kaluuya, a joué dans l’extraordinaire épisode de Black Mirror, « 15 millions de mérites. » Là, par contre, son personnage était complexe, engagé, non pas pour la cause des Noirs, mais contre le mensonge du monde du spectacle et notre rapport absurde aux nouvelles technologies.
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Bing se révolte dans « 15 Millions de mérites », deuxième épisode de Black Mirror, de Charlie Brooker |
À propos de Black Mirror, l’affiche américaine de Get Out est très proche, dans son esthétique et sa symbolique, du générique de la série de Charlie Brooker.
Jordan Peele nous tend, comme Brooker, un sombre miroir de notre société.
Dans Black Mirror aussi, Daniel Kaluuya était dans un couple mixte.
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Daniel Kaluuya (Bing) et Jessica Brown Findlay (Abigail) dans 15 Millions de mérites |
Les couples mixtes au cinéma
Quand on voit un couple mixte au cinéma, difficile de ne pas penser à Devine qui vient dîner (1967). Cette comédie de mœurs avait lancé la carrière de Sidney Poitier, la même année que Dans la chaleur de la nuit, qui lui avait valu l’Oscar.
Le film était démonstratif, mais avait-on le choix en 1967 ? Pile 50 ans plus tard, peut-on encore faire un film démonstratif sur la question ?
Get Out dépasse le thème du couple mixte en l’élargissant aux rapports entre Blancs et Noirs, et la domination toujours actuelle des familles bourgeoises que l’on pourrait appeler « bien-pensantes. »
J’avais envie de défendre Get Out. J’avais envie de crier au génie, surtout quand j’ai vu – avec plaisir – le phénomène qu’il générait aux Etats-Unis, et sa note épatante sur Rotten Tomatoes et IMDB.
Get Out : un film (mal) référencé ?
Il était courageux de parler d’un thème sociétal sous forme de film d’horreur émaillé de farce. Mais est-ce efficace ?
Jordan Peele connaît ses classiques. Il aime Fenêtre sur cour d’Hitchcock et Blow Up d’Antonioni, mais il intègre cette référence avec une maladresse étonnante.
Peele aime aussi les petites musiques à la Hitchcock quand une femme effrayante apparaît à la fenêtre.
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Betty Gabriel (Georgina) domestique à la fenêtre dans Get Out |
Et quand cette même femme traverse les couloirs de la maison telle un fantôme, il pense à Jack Clayton ou, plus récemment, à Shyamalan. Hélas, ces références semblent mal digérées. Les jump scares sont clichés.
Vous prendrez bien une tasse de thé ? (Attention Spoilers à partir d’ici)
L’ambiance est particulière dans cette maison bourgeoise, et l’impression de cauchemar est assez bien rendue. Comme toujours, Catherine Keener brille dans un second rôle.
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Catherine Keener et sa tasse de thé dans Get Out |
Ça ne vous dit rien, une femme flippante avec sa tasse de thé ?
La tasse de thé effrayante s’est déjà vue dans Ça de Stephen King, où une vieille dame apparemment inoffensive invitait Beverly à prendre le thé.
Ce qui vient surtout à l’esprit en regardant Get Out, c’est une nouvelle de Roald Dahl intitulée « The Landlady. »
Dans la nouvelle, une gentille propriétaire invite un jeune homme à prendre le thé, et lui parle de son fils. La vieille dame collectionne les animaux empaillés, mais pas seulement. La fin du texte révèle que la propriétaire a empoisonné le thé du jeune homme afin de l’ajouter à… sa collection.
Un discours à la Malcolm X ?
C’est le même principe pour la famille de Rose Armitage (le nom est proche d’Ermitage, habitation de l’ermite, lieu isolé). La famille blanche collectionne les hommes et les femmes plutôt que les objets. Ils collectionnent ce que Malcolm X aurait appelé les House Negroes, ces esclaves dociles qui aiment un peu trop leurs maîtres.
Comment font-ils pour que ces nouveaux esclaves soient consentants ? La mère Armitage les hypnotise grâce au bruit de sa cuillère dans la tasse de thé. C’est pas un gag. Certains trouveront la scène bien filmée, peut-être, et auront peur en salle. Les autres, hélas, poufferont de rire.
Les Armitage veulent ajouter à leur galerie de personnages un nouveau Noir acceptable pour eux : l’artiste.
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Daniel Kaluuya (Chris Washington) et Allison Williams (Rose Armitage) dans Get Out, de Jordan Peele (2017) |
Même le personnage de Chris est trop sommaire pour qu’on s’y attache vraiment, alors qu’il est doux et intelligent. On aura évité, heureusement, le cliché du Noir musicien. Le fait que Chris soit photographe est une bonne idée, puisque Get Out est un film sur le regard, le point de vue.
Une certaine idée du Vieux Sud
Or, l’homme au regard aiguisé se retrouvera sans regard, hypnotisé par la mère, qui tient toute la ville sous hypnose grâce à sa tasse de thé (on ne rit pas). Elle rappelle en cela une certaine Maryann Forrester dans True Blood.
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Maryann Forrester met la ville de Bontemps sous hypnose dans True Blood |
Si True Blood s’attaque aux paradoxes du Vieux Sud avec efficacité, Get Out se contente de personnages sommaires, du prénom de la domestique Georgina – en référence à la Géorgie – et d’un jeu de mots sur Mississippi en fin de film (il s’agit d’une manière de compter lentement : « One Mississippi, two Mississippi… »)
Tennessee Williams parle souvent de l’impossibilité d’expier le crime de l’esclavage. Jordan Peele se place à son opposé complet : non seulement la famille Armitage n’essaye pas d’expier le péché de l’esclavage, mais elle s’en délecte, et continue d’asseoir sa puissance sur la domination des Noirs.
Vaut-il mieux être Noir ?
La fenêtre à travers laquelle Chris est censé devenir le spectateur de sa propre existence rappelle d’ailleurs cette fenêtre du film de 1999, et surtout celle du générique de La Quatrième dimension.
La jalousie de l’homme blanc envers l’homme noir est ainsi dénoncée : il serait plus « cool » d’être noir. Ce serait à la mode, selon l’aveugle. Là aussi, je demeure perplexe. Pour l’œil de Chris, fort bien. Mais pourquoi la grand-mère a-t-elle voulu devenir la domestique des Armitage ? Surtout, si c’était si grandiose d’être noir, pourquoi les parents Armitage et leur fille ne le sont-ils pas déjà ? Il serait d’ailleurs plus aisé pour Rose de ramener des jeunes gens noirs à la maison si elle l’était elle-même.
Quoi qu’on en dise, il demeure plus avantageux d’être blanc, et surtout riche, dans l’Amérique d’aujourd’hui. La seule explication qui serait viable, mais n’est pas exploitée dans le film, c’est l’idée que la famille Armitage ait réduit en esclavage les grands-parents. Voler des corps noirs, cyniquement, ne serait qu’une question d’habitude. On obtiendrait, surtout, une réflexion sur le jeunisme en plus du racisme.
Une fin prévisible
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La fille robot dans « The Lateness of the Hour », épisode de La Quatrième dimension (1960) |
Get Out, utopie effrayante
Toujours côté séries, le parfait petit monde des Armitage est filmé comme l’utopie effrayante du Prisonnier, autre succès des années 60 : gros plans sur les visages au sourire douteux, malaise omniprésent, couleurs acidulées.
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les habitants de la ville faussement utopique du Prisonnier |
La vidéo de propagande que Chris regarde à la fin de Get Out est carrément pompée sur celles du Prisonnier.
Surtout, dans cette atmosphère qui se veut terrifiante, Peele ajoute des moments comiques qui gâchent l’ensemble. On tombe dans la farce quand Rose écoute la BO de Dirty Dancing sur son iPhone, et Peele use d’un comic relief dans la dernière scène, quand il faudrait un silence tragique.
À la fin du film, surtout, Chris ne devient pas un « field Negro », révolté selon Malcolm X. Il se contente de s’enfuir (d’où le titre, « Get Out ») sans réveiller de leur hypnose ses frères et sœurs opprimés.
Bon pour le discours, raté sur la forme
Jordan Peele, dans Get Out, a choisi un parti pris esthétique courageux pour dénoncer le rapport entre les Noirs et les Blancs aux États-Unis : celui du film d’horreur. Le discours qu’il tient sur les Noirs clichés, les seuls acceptables par les Blancs, est très bien vu. Mais parce qu’il ne présente pas lui-même de personnages noirs complexes, il échoue dans sa démonstration. S’il est cinéphile et sériephile, ses références tombent à plat et s’avèrent grossières. Le comique gâche aussi la terreur provoquée par la famille Armitage qui, hélas, ressemble à tant d’autres.
Pour une meilleure étude du sujet, il vaut mieux regarder l’excellent documentaire diffusé par Arte récemment.