Alors on flippe
Même sans avoir recours au genre de l’horreur, les Japonais sont très doués pour faire naître le frisson. Kiyoshi Kurosawa en avait déjà donné la preuve avec le diptyque Shokuzai, et même l’un de ses premiers films, Cure, qui contenait déjà certains thèmes de Creepy : les psychopathes flippants, les cadavres qui se multiplient, les manipulations mentales.
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Kyoko Koizumi dans Shokuzai de Kiyoshi Kurosawa (2012) |
Bouleversé par une prise d’otages où il fut blessé, l’inspecteur Takakura (Hidetoshi Nishijima) démissionne de la police. Il déménage dans une petite ville avec sa femme Yasuko (Yûko Takeuchi). Peu de temps après, Nogami (Masahiro Higashide), un ex-collègue, lui demande son aide pour résoudre une affaire qui le taraude depuis six ans : la disparition, du jour au lendemain, de tous les membres d’une famille, laissant seule leur fille Saki (Haruna Kawaguchi).
Mio (Ryōko Fujino), Takakura (Hidetoshi Nishijima), Nishino (Teruyuki Kagawa), et Yasuko (Yûko Takeuchi) dans Creepy
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Dans le même temps, Takakura et Yasuko font la connaissance de leur voisin Nishino (Teruyuki Kagawa) et de sa fille Mio (Ryōko Fujino). Nishino se montre de plus en plus effrayant. Yasuko devient irritable, Takakura a l’impression qu’un piège invisible se referme sur lui…
Mon voisin le psycho
Les peurs les plus efficaces sont universelles. Lorsque dans les journaux, on interroge les voisins d’un.e tueur.se, combien de fois entendons-nous que cet personne avait l’air normale, serviable, gentille…
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Nishino (Teruyuki Kagawa) dans Creepy de Kiyoshi Kurosawa (2016) |
Et si le mec d’en face était un assassin ? De ce simple pitch, Hitchcock a tiré Fenêtre sur cour, feu d’artifice ludique et malicieux. Tout en maintenant un ton léger, le maître du suspense fait sourdre l’angoisse.
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Grace Kelly et James Stewart dans Fenêtre sur Cour, réalisé par Alfred Hitchcock (1954) |
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Arthur « Boo » Radley (Robert Duvall) dans Du silence et des ombres, réalisé par Robert Mulligan (1962) |
Côté voisins terrifiants, on a rarement fait mieux que les Castevet de Rosemary’s baby, voisins prévenants le jour, satanistes la nuit.
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Ruth Gordon et Sidney Blackmer (Minnie et Roman Castevet) dans Rosemary’s baby de Roman Polanski (1968) |
Creepy : un script pas assez rigoureux
Même si Creepy sème des twists de plus en plus horribles, le scénario n’est pas ce qui est le plus intéressant : l’exposition, bavarde, s’étend sur près du premier tiers du film. Ainsi l’enquête policière n’a-t-elle d’autre but que de donner un passif à Nishino. Elle se révèle prévisible, ce qui ne l’empêche pas de s’étirer en longueur.
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Takakura (Hidetoshi Nishijima) et Nogami (Masahiro Higashide) dans Creepy
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Kurosawa demeure flou sur le rôle joué par la fille de Nishino. On relève aussi plusieurs incohérences dans le film, y compris le dernier twist, renversement de situation inexplicable. On s’étonne aussi de l’inefficacité flagrante de la police.
Le secret de la cave noire
Si Creepy est réussi, c’est qu’il est avant tout le portrait d’un homme mentalement déréglé.
Teruyuki Kagawa est étonnant en misanthrope détraqué, alors même qu’on le voit rarement passer à l’action. Faible physiquement, vaguement ridicule dans sa cynophobie (peur des toutous) il sidère lors de ses apparitions, alternant blagues douteuses, sous-entendus menaçants, brusques crises de colère, sourires figés… tout y passe.
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Yasuko (Yûko Takeuchi) et Nishino (Teruyuki Kagawa) dans Creepy |
Ses intentions sont glaçantes. Les amateurs d’Esprits Criminels retrouveront la même motivation chez les méchants de l’épisode 5.16 Hansel et Grétel. Le sadisme de Nishino n’est jamais « volontaire », il est le fruit d’un raisonnement tordu. Creepy adopte le point de vue inverse de Captives qui filmait le calvaire des victimes et non de l’agresseur. Kurosawa pare ainsi à la tentation de trop en faire, travers dans lequel tombait hélas Atom Egoyan.
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Naoko Sâto (la mère) et Mio (Ryōko Fujino) dans Creepy |
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Le casting du film |
« Plus réussi est le méchant, plus réussi est le film » (Hitchcock)
Malgré les zones floues de son scénario et son exposition à rallonge, Creepy n’en est pas moins un vrai cauchemar, mis en scène avec un crescendo qui donne le frisson (plans fixes comme autant de prisons virtuelles, photographie des scènes de cave glauque…) et porté par un méchant à la perversité mémorable.