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Cannes s’est terminé hier et j’ai suivi la cérémonie par bribes, à coup de Twitter et de vidéos, sur mon portable. Il faut dire que j’étais dans la queue interminable devant le Gaumont Opéra, avant la projection du film Sorry We Missed You. Pourtant salué pendant le festival par la critique, il est reparti bredouille.
Je n’ai pas vu Parasite mais il paraît qu’il est excellent. Je suis sûre qu’il mérite son prix. Cependant, un prix du jury ou de la réalisation pour Ken Loach m’aurait fait plaisir. En effet, à 82 ans, le cinéaste britannique a encore beaucoup de choses à dire, tant du point de vue politique que cinématographique.
Sorry We Missed You nous présente une famille pauvre du nord de l’Angleterre. Mais quand je dis « famille pauvre », il ne s’agit pas de sans-abri ou de personnes au chômage. Il s’agit bien de prolétaires. C’est un mot que l’on n’utilise plus beaucoup. Or, il désigne de plus en plus de monde. Le prolétaire, c’est un travailleur pauvre.
Rick Turner est un homme courageux qui enchaîne les jobs précaires comme les travaux en bâtiment. On le rencontre lors de son entretien d’embauche pour devenir livreur d’une société type Uber.
Le patron lui vante les vertus de ce nouveau système : Rick deviendrait son propre patron. C’est évidemment faux. Après la série de jobs précaires que Ricky a connus, il enchaîne avec un travail qui l’est encore davantage. Puisque payé à la mission, à l’heure, presque comme sur la place de grève. Pourtant, il croit à une liberté nouvelle. En fait, il se retrouve prisonnier d’un nouveau système, plus pervers que l’ancien.
De la violence en milieu ouvrier
Malgré les promesses de l’embauche, il travaille sous la dextre d’un nouveau patron, encore plus violent que les autres.
J’ai l’habitude sur Marla’s Movies de chroniquer des films qui évoquent la souffrance au travail. Mais cette souffrance est souvent celle de la classe moyenne. Il s’agit d’une violence feutrée dans des entreprises lisses en apparence. Mais la violence dans le milieu ouvrier est beaucoup plus brute. Rick est sans diplôme, il n’a pas d’autres choix que d’accepter ce boulot, qui lui apportera bien plus de malheurs que de sérénité.
Rick, surtout, est père de famille. Sa femme, Abby, a aussi un job précaire : c’est l’une de ses nombreuses aides à domicile, grande âme et petit salaire. Elle travaille avec dévotion pour ses clients, en acceptant des conditions de travail épouvantables. Heures supplémentaires non payées, appels en dernière minute, patronne peu commode…
Le couple Turner a deux enfants : Seb, adolescent en souffrance, Liza Jane, petite fille sibylline pendant tout le film. Elle sert de témoin innocent à la désintégration de sa famille.
Sorry We Missed You : explication du titre
Sorry We Missed You, c’est le message que nous avons tous lu sur l’avis de passage laissé par un livreur dans notre boîte aux lettres. « Désolé de vous avoir raté ».
C’est ce livreur, anonyme et auquel personne ne pense, qui intéresse Ken Loach et Paul Laverty, son fidèle scénariste. Lui et sa famille, à laquelle on pense encore moins. Sous prétexte que prendre un Uber ou se faire livrer chez soi est confortable et pratique, on oublie trop souvent la réalité économique derrière ce confort que peut souffrir les classes moyennes et supérieures.
J’ai beau avoir travaillé en fast-food dans ma jeunesse, et me douter que les mauvaises conditions de travail que j’y ai trouvées sont les mêmes dans tous les restaurants de ce genre, cela ne m’empêche pas d’appeler de temps en temps Pizza Hut et de recevoir l’un de ses livreurs. Je ne connaîtrai pas son nom, à peine sa voix déformée par le téléphone. J’ai oublié son visage juste après l’avoir croisé. Cet homme pourtant, je m’en doute, a une vie bien à lui en dehors des pizzas et des motos. Et certainement un patron odieux qui le réprimandera s’il arrive en retard ou rate une livraison. Et si jamais il perd son job à cause d’un ou une cliente qui se sera plaint.e de ses services, personne à part lui ne se souciera de l’impact de cette perte d’emploi sur sa vie et celle de sa famille.
Ken Loach montre très bien dans Sorry We Missed You les conditions de travail déplorables de ces livreurs corvéables à merci.
– Congé ?
– Connais pas.
– Accident de travail ?
– Connais pas.
– Quitter le travail pour une urgence familiale ?
– Hors de question.
– Compter sur l’humanité du patron en cas de problème grave ?
– Compter sur la quoi ?!
Anatomie de l’ubérisation
Si Sorry We Missed You est plus réussi que Moi, Daniel Blake, c’est en grande partie parce que l’on témoigne dans le film des interactions entre les membres d’une famille qui subissent tous à leur manière le capitalisme sauvage depuis longtemps en place en Angleterre. Capitalisme sauvage qui est arrivé en France via la fameuse ubérisation. La précarisation du travail déconstruit ainsi ce qui pourrait être le socle d’un équilibre : la famille.
Cela me rappelle une scène de The Big One de Michael Moore, où le réalisateur américain a interviewé des employés d’une grande surface récemment licenciés. L’un d’eux a très bien exprimé à quel point la perte d’un emploi pouvait transformer un homme. Alcool, violence, dépréciation de soi, le capitalisme se nourrit littéralement du malheur des hommes.
Par l’anatomie de la famille Turner, Ken Loach démontre brillamment à quel point la formule sarkozyste « travailler plus pour gagner plus » et autres slogans libéraux ne sont que pieux mensonges. On a toujours besoin de la fiction pour nous faire ouvrir les yeux sur le réel. Le mépris actuel de Macron envers les gilets jaunes est l’un des symptômes de ce capitalisme sauvage.
Cannes : des riches qui regardent des pauvres
Et puis il y a moi, petite bourgeoise à la con venu voir un film de Cannes presque en même temps que les festivaliers, dans un cinéma parisien dont la place coûte cher. Près de 13 € pour aller voir un film. C’est un luxe de riches que d’aller voir des pauvres en salle. À la fin de la séance, même si j’entendais les cinéphiles commenter le film, je ne pouvais qu’être réduite au silence.
La fin de Sorry We Missed You m’a rappelé l’une des répliques d’un film français justement intitulé Ah, si j’étais riche. Dans ce film de 1996, Jean-Paul Darroussin campait un personnage qui venait de gagner au loto. Un mois après avoir placé ses gains en banque, il s’étonne que sa fortune ait encore augmenté. Il demande à son banquier d’un air naïf :
– Alors, quand on est riche, ça ne s’arrête jamais ?
– Ne vous en faites pas, Monsieur, répond le banquier, quand on est pauvre, non plus.
J’ai vécu à Dublin au plein cœur de la crise. C’était en 2010, et la crise des subprimes avait frappé fort. Une époque terrible où, pour un simple poste chez McDo, cent têtes se présentaient.
Époque étrange où il n’y avait de travail nulle part : ni au kebab, ni dans un petit restaurant qui se prétendait français, ni au pub du coin. Le chômage était si répandu qu’il était devenu grossier de demander à un inconnu ce qu’il faisait dans la vie. On évitait simplement la question. On profitait de la musique, des guitares, de la harpe et du folklore irlandais, on dépensait ses dernières pièces dans de une bière.
Nous n’en sommes pas encore à Trepalium, où le chômage est la norme et le travail l’exception.
Mais certains contextes économiques laissent à penser que le chômage est une évidence pour ma génération.
Daniel Blake et son parcours du combattant
Daniel Blake n’est pas de ma génération. C’est ce qu’on appelle un senior, un quinquagénaire, un vieux, en somme. Daniel ne travaille plus. Non pas parce qu’il ne veut plus, et parce qu’il ne peut plus. Fragile du cœur, son médecin lui a donné un arrêt maladie définitif.
Quand il se rend à l’agence pour l’emploi de Newcastle, il entame un parcours du combattant pour obtenir une pension d’invalidité. C’est là qu’il rencontre Katie. Elle aussi éprouve le plus grand mal à obtenir ses allocations.
Daniel Blake (Dave Johns) et Katie (Hayley Squires) dans Moi, Daniel Blake, de Ken Loach (2016)
Une bureaucratie écrasante
Le parcours du combattant de Daniel Blake (touchant Dave Johns) rappelle la maison qui rend fou dans Les 12 travaux d’Astérix.
J’ai aussi tout de suite pensé au documentaire récent sur Pôle emploi, qui expliquait la difficulté de travailler pour ce mammouth français.
Moi, Daniel Blake n’est pas le meilleur Ken Loach. On est loin, par exemple, de Land and Freedom. Pour le palmarès cannois, Julieta d’Almodovar était bien meilleur, tout comme Mademoiselle de Park Chan-Wook. Mais une telle sincérité se dégage de l’ensemble de Moi, Daniel Blake, que l’on ne peut qu’adhérer. Ken Loach, 80 ans, dépense encore toute son énergie à défendre les plus faibles.
En montrant le parcours d’un homme démuni face à une bureaucratie écrasante, Loach montre une Angleterre ravagée par le chômage et l’exclusion.
Si l’on tape « Newcastle » dans Google, le premier résultat est l’équipe de football. C’est drôle, j’ai entendu dire que Cannes, c’était l’inverse du football : ce sont des riches qui regardent des pauvres. Newcastle fait partie de l’Angleterre minière qui ne s’est pas tout à fait remise des années Thatcher. Nous ne sommes pas loin du comté de Durham où a grandi Billy Elliot. Nous ne sommes pas loin des chômeurs de The Full Monty ni des Virtuoses.
Cannes récompense un discours
Que l’on regarde un documentaire de France 2 qui montre l’impuissance des employés de Pôle Emploi ou une fiction qui adopte le regard des chômeurs, on ne peut que se désespérer d’un système qui broie les hommes mais qu’on nous vend que le seul possible.
Cannes, souvent, plutôt que de récompenser un film, une réalisation, une interprétation, récompense un discours. C’était le cas pour Timbuktu, remarquable. C’était le cas de Michael Moore en 2004. Gagner à Cannes, c’est savoir que son film va être vu. Et c’est beaucoup.
Il faut voir Moi, Daniel Blake, même si la mélancolie règne, même si le film marque la victoire d’un monde injuste. Chez Loach, ça commence mal et ça finit souvent très mal.
Vous n’oublierez pas Daniel Blake et son cri de révolte. Ce n’est pas parce qu’il perd la partie qu’il s’est battu pour rien.
Et vous, que pensez-vous du film ? Dites-le en commentaire !
Les films sociaux à l’anglaise : la musique pour sublimer le drame
Dans les années 90, plusieurs films sociaux à l’anglaise choisissaient la musique et la danse pour insuffler espoir et humour aux drames sociaux. Ils racontaient la misère des mineurs dans le nord du pays, écrasés par la politique de Margaret Thatcher. Le premier ministre conservateur avait en effet fermé toutes les mines de charbon du pays, jugées peu rentables, et mis à la rue des milliers de mineurs et leurs familles, dans une tragédie sociale qui a durablement marqué la nation.
Par la musique et la danse, les drames se changeaient, dans les salles obscures, en comédies douces-amères.
Les acolytes de Robert Carlisle, au chômage dans The Full Monty, décident de monter un spectacle de chippendales. La comédie surgit par la musique disco qui accompagne leurs numéros improbables.
Dans Les Virtuoses, Ewan McGregor et ses amis remettent sur pied une fanfare de village. Pendant les répétitions naissent la solidarité et l’amour. Le concerto de Aranjuez, version cuivres, accompagne la fermeture des mines, dans une séquence bouleversante.
On retrouve ces pas de danse dans le dernier Ken Loach, Jimmy’s Hall, sorti hier sur les écrans français. Jimmy, irlandais, revient au pays après s’être exilé dix ans en Amérique. Il se laisse convaincre par les jeunes du village de rouvrir un dancing délabré, pour que la vie revienne dans la région, par la musique, la danse et la littérature, enseignées gratuitement par des volontaires.
Jimmy fait danser ses amis sur du jazz, mais aussi des danses traditionnelles irlandaises. Le gaélique et l’anglais se répondent dans la chanson Suil a Ruin (ici extraite du spectacle Lord of the Dance)Un poème de Yeats « The Song Of Wandering Aengus, » est analysé dans cette classe de fortune. Dans le poème, un pêcheur raconte comment il a attrapé une truite qui se changea en femme sous ses yeux. Il peut rappeler aux cinéphiles le conte d’Edward Bloom dans Big Fish, qui parvient, après maints efforts, à ferrer le poisson insaisissable qui deviendra sa femme. Mais Yeats n’aura pas cette chance. Il s’adresse dans son poème à Maud Gonne, dont il est amoureux mais qui l’a toujours rejeté. Son destin semble mis en parallèle avec celui de Jimmy, épris d’une femme qui ne lui appartient pas. Voici le poème de Yeats, mis en musique par Donovan.
Jimmy’s Hall : tout est dans le titre
Le titre Jimmy’s Hall est révélateur du but du Ken Loach : montrer une Irlande fermée sur elle-même qui s’ouvre peu à peu au monde.Huit ans après Le Vent se lève, qui narrait la guerre d’indépendance, Ken Loach nous montre, par le prisme du dancing, une Irlande en pleine mutation.
Au départ, le dancing s’appelait Connolly-Pearse, en hommage aux dirigeants de l’insurrection de Pâques de 1916, étape essentielle vers l’indépendance irlandaise.
James Connolly et Patrick Pearse
Dans le film, Jimmy est attaqué par l’Eglise et les conservateurs de son village, car il est communiste et propose des cours sans l’autorisation du prêtre. L’ironie de l’histoire (la grande et la petite) veut que James Connolly ait été marxiste et révolutionnaire, tout comme James Gralton, – dit « Jimmy » – héros du film de Ken Loach.
Ce goût pour les diminutifs est d’ailleurs très américain. Fini le poids des héros nationaux, Jimmy’s Hall est un endroit convivial où l’on enseigne la littérature, en rendant l’air de rien hommage à Patrick Pearse, à la fois poète et professeur.
Une Eglise stéréotypée
L’Eglise, bien sûr, voit d’un mauvais œil ce lieu de perdition. Et c’est là que Ken Loach devient didactique et démonstratif : un vieux prêtre rigide se dresse contre les jeunes épris de liberté. Son sermon ridicule à l’église est entrecoupé d’images du cours de jazz, dans un montage un peu facile. Ken Loach tombe hélas dans le manichéisme. Au lieu de montrer, il a tendance à démontrer. Il peine à appliquer la règle d’or de Henry James, appelée « Show, don’t tell » (Ne racontez pas: montrez.)
Le réalisateur, en voulant être pédagogue, explicite trop les choses: il ne fait pas confiance au spectateur pour remplir les blancs.
L’Eglise et le peuple: une histoire irlandaise
Le film a néanmoins le mérite de reprendre ce thème cher à l’Irlande, celui du hiatus entre le peuple et l’Église. De nombreux films ont d’ailleurs illustré ce fossé, qui explique la défiance des Irlandais vis-à-vis du dogme catholique. Frank McCourt racontait son enfance en école catholique dans Les Cendres d’Angela (adapté à l’écran en 1999) et critiquait la fermeture d’esprit de l’Eglise.
The Magdalene Sisters (2002) dénonçait aussi la rigidité religieuse, tout comme, plus récemment, le Philomena de Stephen Frears (2013)
Une superbe photographie
Ce qui séduit dans Jimmy’s Hall, dès les premières images, ce sont les paysages irlandais, amoureusement filmés.
Pour les scènes d’intérieur, surtout le dancing, nous retrouvons les tons sépia d’un certain film, où un jeune homme voyageant en troisième classe invitait une riche demoiselle à danser… une gigue irlandaise.
Jimmy’s Hall : une fin un peu cliché
La fin de Jimmy’s Hall tombe hélas elle aussi dans le cliché. La dernière scène évoque Le Cercle des poètes disparus, ou plus récemment Le Sourire de Mona Lisa : les élèves disent adieu à leur maître dans une scène qui semble déjà vue.
Le film reste beau à découvrir, les acteurs sont remarquables, notamment Simone Kirby dans le rôle d’Oonagh. Ken Loach fait ses adieux au cinéma dans un bel hommage à l’Irlande, parfois stéréotypé mais empli d’un amour sincère.
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