Beaucoup de bruit pour rien ?
Christian (Claes Bang) est conservateur d’un grand musée d’art contemporain de Stockholm. À ce titre, il doit veiller sur la promotion de « The Square », un carré lumineux de 4 mètres sur 4 tracé sur le sol. Une plaque indique que l’intérieur de ce carré doit être un espace d’entraide et de tolérance. Si on s’y trouve et qu’on demande de l’aide, alors les spectateurs devraient en apporter.
Naïf ? Bizarrement, cette œuvre conceptuelle va complètement chambouler le musée, son conservateur, et son entourage. Aux côtes de Christian, nous avons son assistant Michael (Christopher Laessø), Anne, une journaliste (Elisabeth Moss). Nous avons aussi un garçon hargneux (Elijandro Edouard) et un performeur artistique (Terry Notary) qui vont secouer ce microcosme de notre société.
Avec The Square, Ruben Östlund signe une œuvre austère et dense. Sens de l’art contemporain, difficulté de trouver un équilibre entre promotion d’une œuvre et l’œuvre elle-même, perte de repères d’un homme qui ne sait plus se comporter avec ses semblables… la Palme d’or 2017 s’attaque à des sujets pointus, au risque d’être intransigeant. On peut discerner deux axes dans le film : une humanité qui appelle à l’aide, et son hypocrisie.
À l’aide !
The Square exprime ce besoin viscéral de demander de l’aide. Mais Östlund est sans illusions sur l’égoïsme de notre monde. Prisonniers de codes rigides, de la peur de voir notre ego fracassé, et surtout d’une certaine lâcheté devant la souffrance de l’autre, les appels à l’aide sont ou ignorés ou entendus trop tard.
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Anne (Elisabeth Moss) dans The Square de Ruben Östlund (2017) |
Christian finit par bâcler son travail, et sa négligence aura un retour de flamme spectaculaire.
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Le garçon hargneux (Elijandro Edouard) dans The Square |
Bad Buzz
Comme circonstance atténuante, on peut dire que Christian n’a aucun modèle dans son entourage : son assistant falot, un employé qui engueule le public qui part vers le buffet dix secondes trop tôt, une paire de geeks qui ensevelissent l’œuvre d’art sous une promotion racoleuse. Östlund ne critique pas l’art contemporain comme pouvait le faire Art de Yasmina Reza, mais dès la première scène nous rappelle qu’une des premières règles d’un musée est de faire de l’argent, pour survivre.
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Christian (Claes Bang) dans The Square |
Traité d’hypocrisie
Dans une sécheresse qui évoque Bergman, Östlund démonte nos mécanismes d’hypocrisie. Lorsque Christian emmène ses enfants voir « The Square », il les invite à presser un des deux boutons d’une installation : le gauche pour dire « Je fais confiance aux gens », le droit pour dire « Je ne fais pas confiance aux gens ». Le compteur indique que 42 personnes disent faire confiance aux gens contre 3 pensant l’opposé. Pourtant, il est impossible de voir la moindre confiance dans ce film.
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Anne (Elisabeth Moss) et Christian (Claes Bang) dans The Square |
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Parodie du Radeau de la Méduse de Gericault dans Musée haut musée bas de Jean-Michel Ribes (2008) |
Le climax du film est éloquent là-dessus : lorsqu’un performeur imite un animal sauvage, le gratin des hautes classes s’amuse d’abord de son « animalité ». Mais plus la performance avance, plus le malaise s’installe, tant sa violence latente met à nu la lâcheté humaine, qui préfère regarder ailleurs pour ne pas voir des spectacles d’horreur. Ce n’est que par la force rassurante d’une foule aveugle et bête qu’une réaction est possible.
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Le performeur (Terry Notary) dans The Square |
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Toni Erdmann (Peter Simonischek) dans Toni Erdmann de Maren Ade (2016) |
Une démonstration trop longue
The Square voit ses développements tourner court. Après avoir exposé une idée, Ruben Östlund la réitère sans y apporter du neuf. Le film a une grande densité de thèmes, mais ceux-ci sont simplement énoncés et répétés plus loin. Tout le problème de la publicité est énoncé dès la première scène avec le duo geek, cet arc narratif ne développera rien de plus. Le problème entre classes sociales est de même exprimé dès la première rencontre avec le petit garçon. A l’inverse, l’assistant de Christian n’a pas le temps de se développer, vite évacué de la narration.
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Michael (Christopher Laessø) et Christian (Claes Bang) dans The Square |
Une palme d’or audacieuse
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Le casting du film |
Il faut reconnaître, cependant, que ce sont des œuvres comme The Square qui font du cinéma un art toujours à redécouvrir.