
Je viens de voir La Lutte des classes de Michel Leclerc. Et je suis très emmerdée.
Ancienne prof du collège et du lycée public, très à gauche depuis l’enfance, je me suis rarement identifiée à deux personnages autant qu’à Paul et Sofia dans La Lutte des classes.

Paul (Edouard Baer) et Sofia (Leila Bekhti) dans La Lutte des classes, de Michel Leclerc (2019)
Une petite voix dans ma tête me soufflait pendant la projection :
L’école publique, hein ? C’est facile quand on a fréquenté un collège et un lycée du huitième arrondissement de Paris, ces écoles dites publiques qui sont en réalité des ghettos de riches.
J’aurais pu aller dans un lycée moins côté à 15 ans, selon la logique de la carte scolaire. Oui mais voilà, ma mère était comme toutes les autres : elle voulait le meilleur pour ses gosses. Résultat : elle a trouvé une astuce appelée dérogation. Le film de Michel Leclerc l’appelle « radiation ». D’autres, indignés, la nommeraient passe-droit.
J’ai donc été inscrite dans le lycée bourgeois à deux pas de mon collège.
Une fois adulte facile également, quand on n’a pas de gosses, de dire qu’on les mettrait sans hésiter dans une école publique.
C’est que, vous comprenez, je rencontre des gens. Marc, l’un de mes amis, croyait dur comme fer à l’école publique lui aussi, avant de mettre ses filles dans la privé. Quand il a pris sa décision, il m’a dit, tout penaud :
Avant, j’avais des principes, maintenant, j’ai des enfants.
Et puis il y a Alice, qui a domicilié ses enfants chez leur grand-mère pour qu’ils puissent étudier dans un collège du 16e arrondissement.
À gauche, toute ?
Si jamais j’ai un enfant, je deviendrai peut-être aussi trouillarde que les autres.
Voter à gauche, oui, par conviction, par habitude, par amour simplement et dans l’espoir d’un monde plus juste. Peut-on voter à gauche parce que l’on veut croire en l’école publique tout en payant 6000 € l’année scolaire de sa progéniture ? Peut-on être athée jusqu’au bout des ongles et mettre son môme en école catho parce que le niveau est meilleur que l’école de quartier ?
Que ferais-je ?
Que ferais-je moi ? Voilà la question qui me taraudait pendant La Lutte des classes.
Je connais bien la filmographie de Michel Leclerc. Après avoir vu maintes fois Le Nom des gens et Télé Gaucho, j’ai vu La Lutte des classes, et je me suis dit :
Décidément, c’est de plus en plus dur d’être de gauche.
Est-ce que le verbe droite m’a contaminée ?
Ce n’est pas de ma faute si j’ai remarqué dans ma carrière de prof que les étudiants de Marne-la-Vallée n’avaient pas les mêmes chances que les privilégiés de Dauphine. Que Je piquais d’ailleurs les craies de Dauphine pour Nanterre, où elles manquaient. Est-ce ma faute, enfin, si l’on propose à Mohamed une formation de mécanicien et à Jean-Charles la fac de droit ?
Moi qui dois tout à l’école publique, j’ai tout de même payé sur le tard une formation pour mettre le nom d’une grande école dans mon CV.
Je suis aussi trouillarde que les autres.
Et pourtant, je l’aime, la cour de Babel de La Lutte des classes, et ces enfants venus de partout pour peupler les miennes. J’ai la tête emplie de questions. Les bons films ont cet effet-là.
La lutte des classes : un film tendre empli d’espérance
La Lutte des classes est un film tendre, solaire plutôt que scolaire. Il possède un élan et un espoir formidables.
Allez voir le film. Dites-moi si vous ressentez la même chose. Ou pas.
Contredisez-moi, mettez-moi face à mes paradoxes. La Lutte des classes me donne envie de discuter avec ceux et celles qui, généralement, ne me lisent pas.
Le film de Michel Leclerc m’a rappelé l’excellent film de Kheiron, Nous Trois ou rien. Dans le film de 2014, les personnages de Leila Bekhti (eh oui, déjà) et celui de Kheiron se disent, lors d’un débat à la mairie très animé entre des habitants de Seine-Saint-Denis :
– Ils n’arrêtent pas de s’engueuler.– Oui, mais ils se parlent.