On distingue trois tendances dans le genre si particulier qu’est le « film pour ado. » L’une d’elles est de tracer le destin funeste de jeunes tombant dans un engrenage : les addictions dans Requiem for a dream, le harcèlement scolaire mortel dans Marion, 13 ans pour toujours, le trafic de drogue dans Divines…
Mais cette voie-là apparaît sinistre, et la voie la plus lucrative ces dernières années est de narrer des récits d’adolescent(e)s au destin singulier dans un univers sinon fantastique ou SF, au moins d’anticipation : Bella et Edward de Twilight, Katniss dans Hunger Games, Tris dans Divergente, entre autres.
Et puis, il y a les « campus movies », qui constituent l’écrasante majorité et sont souvent la cause de la mauvaise réputation du genre : trop de niaiserie, d’idiotie, de clichés et de vulgarité.
C’est pourquoi l’ambition de certains films est de restituer ce qu’est réellement l’adolescence, dans tout son bouillonnement. Un modèle adopté par certaines teen series et movies. Friday Night Lights côté réel, et Buffy contre les vampires côté fantastique sont des modèles du genre. Ces séries décortiquent tous les aspects de l’adolescence avec réalisme, émotion et humour. C’est le cas de Jamais contente.
Une trilogie
originale
J’ai lu la trilogie Le journal d’Aurore de Marie Desplechin (sœur d’Arnaud). On y trouve d’étonnantes qualités. Certes, le postulat de base « raconter une vie ordinaire de manière passionnante » n’est pas nouveau, mais il est très abouti ici.
Aurore se révèle complexe et hilarante derrière son air bougon. C’est une élève médiocre bien que douée en mathématiques (matière d’ordinaire honnie dans l’inconscient collectif). Elle se montre versatile en amitié comme en amour, mais attachante. En rivalité avec ses sœurs, elle fait vivre l’enfer à ses parents. Aurore possède un don d’observatrice des absurdités humaines, mais ignore ses propres paradoxes.
Ce dernier point, joint à son goût des répliques-qui-tuent, inonde son journal d’un humour mordant. C’est ainsi que Desplechin atteint son but : décrire l’étrangeté du monde si l’on est adolescent.
Ce soin dans l’écriture rappelle une série renommée pour sa brillante description de l’adolescence : Angela, 15 ans.
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Claire Danes, interprète d’Angela Chase dans Angela, 15 ans (1994-1995) |
Adapter un journal intime au cinéma n’est jamais facile, les fans de Bridget Jones en savent quelque chose. Les films ont en effet broyé la richesse des livres, pour n’en garder que le volet rom-com.
Émilie Deleuze s’en sort mieux dans Jamais Contente. Vu l’impossibilité d’adapter les trois livres (ce qui aurait demandé trois films voire une série) il était habile de se contenter du troisième livre. C’est en effet le seul à avoir un fil rouge (le groupe de musique.) Emilie Deleuze y a intégré des éléments du premier volet (comme la pseudo-fugue).
La réalisatrice a aussi préservé l’essentiel des qualités du livre, son « film d’ado » sonne donc juste et original.
Une adaptation
décevante
passer à la trappe nombre d’éléments importants.
utilise pour décrire son quotidien : ses vannes, ses comparaisons, ses
envolées. C’est un humour littéraire, difficilement transposable au cinéma.
routinier. Au total, six éclats de rire en une heure trente.
transpose avec (trop de) fidélité son support original. Ce décalage produit un
rythme trop lâche du récit. Quant aux dialogues, les scénaristes se reposent
trop sur les « punchlines » de la rebelle, qui ne jaillissent que par
intermittence. Du coup, le film ne dure qu’1h28, mais semble long.
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Toute l’équipe de Jamais Contente |
L’évolution d’Aurore se fait sur trois ans dans les livres. Parce qu’elle se concentre sur une année, Deleuze se base uniquement sur le groupe de musique. C’était aussi un défaut du troisième livre. Ainsi, tous les autres aspects de la vie d’Aurore (premières expériences amoureuses, amitiés orageuses, relationnel avec les professeurs, tensions familiales…) sont réduits à la portion congrue. Jamais contente, en multipliant les scènes de répétition, prend parfois des allures de Fame, et dévie de son sujet.
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Aurore et son groupe de rock dans Jamais Contente |
Même si l’on n’a pas lu le journal d’Aurore, le film n’a le temps que d’esquisser son petit monde, sans l’approfondir.
Des
personnages insuffisants
Alex Lutz dans Jamais contente d’Émilie Deleuze (2017)
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Meilleur espoir féminin pour Lena Magnien ?
En réalité, tout le film sert à mettre en lumière le talent étourdissant d’une actrice, Lena Magnien, dans le rôle d’Aurore. Il s’agit pourtant de son tout premier film. Irréprochable dans son timing comique, d’une énergie contagieuse, elle fait battre le cœur du film.
Aurore a beau mener la vie dure à son entourage (qui le lui rend bien) le bagout, le charme et le charisme de Lena Magnin la rendent irrésistible. Ses mines bourrues ne lassent jamais. L’actrice se montre d’une étonnante justesse dans les scènes d’émotion. C’est grâce à elle que l’on s’intéresse au film, véritable manifeste en vue d’une nomination au meilleur espoir féminin pour les Césars.
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Lena Magnien incarne Aurore dans Jamais Contente |