L’étoffe des rétros
Pour être personnage de film de casse, il faut multiplier les talents : stratégie, rigueur métronomique, vigueur pour les scènes d’action, improvisation… un peu de bouteille ou une pleine jeunesse, quand le cerveau est dans sa faste période, et le corps toujours en forme. Certes, on peut être un branquignol et quand même jouer à Spaggiari, mais la jurisprudence Un après-midi de chien devrait en refroidir plus d’un !
Quelque soit le casse, les protagonistes sont rarement au-delà de la cinquantaine. Aussi, quand le scénariste Edward Cannon propose à Martin Brest une histoire sur un trio de vieux messieurs qui deviennent braqueurs, le genre reçoit un bon coup de jeune ! En 1979, Going in Style était déjà un succès.
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George Burns, Art Carney, et Lee Strasberg dans Going in Style, réalisé par Martin Brest (1979) |
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Joe (Michael Caine), Willie (Morgan Freeman), et Albert (Alan Arkin) dans Braquage à l’ancienne, réalisé par Zach Braff (2017) |
Sujet à la Ken Loach, traitement Hollywoodien
Dans le film original, le trio braquait une banque pour tuer le temps. Mais en 2017, la crise économique a mis à genoux nombre d’Américains (et tant d’autres). Des scandales de fonds de pension ont éclaté. Joe est victime d’un crédit bancaire pervers présenté malhonnêtement.
« Les établissements banquiers sont plus dangereux que des armées prêtes au combat ; le principe de dépenser de l’argent à rembourser ultérieurement, sous le nom de crédit, est juste une future escroquerie à grande échelle » prophétisait Thomas Jefferson dès 1816 !
C’est donc par nécessité que le trio va violer la loi. Le fait que ce sont des seniors donne du piment à Braquage à l’ancienne : comment voler une banque quand on a les jambes faibles (voire un rein en grève) ?
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Les trois lascars de Braquage à l’ancienne |
Un sujet digne de Ken Loach, aussi grave que le calvaire de Daniel Blake. Mais comme l’original, Braquage à l’ancienne est une comédie qui s’amuse des déboires comme des ressources de la vieillesse. Le film exalte le courage des hommes face à l’adversité.
L’optimisme du film est très Hollywoodien, donc peu réaliste (y compris dans le final, plus gai que celui de 1979). En nos temps moroses, un peu de légèreté, c’est toujours ça de pris. Même le peu rigolard Ken Loach avait fait, avec La Part des anges, une comédie sur des parias de la société acculés au vol. Les jeunes sont une génération sacrifiée au même titre que le troisième âge.
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Le quatuor de La part des anges, réalisé par Ken Loach (2012) |
Ritournelle prévisible mais agréable
Le scénario de Theodore Melfi est paresseux. Il ne s’agit pas du burlesque de Prends l’oseille et tire-toi de Woody Allen, avec son braqueur minable. L’exposition dure autant que le vrai sujet de Braquage à l’ancienne : le casse et la confrontation avec le FBI. La faute aussi au réalisateur. J’aime beaucoup Zach Braff, depuis son rôle de médecin lunaire dans l’hilarante série Scrubs, il a réalisé deux films indépendants dignes d’intérêt, qui étaient des projets personnels.
Pour son troisième long-métrage, il hérite d’un film de commande où il n’est pas autant impliqué. Sa caméra est impersonnelle et freine le film, qui exige de la virtuosité. Il suffit de voir Insaisissables, volumes un et deux (aussi avec Michael Caine et Morgan Freeman), dont scénario et réalisation donnent le tournis. Braff a du mal à impulser du rythme au film – mais il a trois fois moins de budget aussi.
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Brooklyn (Joey King), petite-fille de Joe dans Braquage à l’ancienne |
Le mélange de suspense et d’humour, bien que prévisible, marche bien. Mention spéciale pour la course-poursuite entre une agente de la sécurité et… un caddie électrique, un des rares moments où le film touche l’originalité.
Les mauvais coups de la vieillesse donnent quelques scènes attendues mais drôles. Les seconds rôles, de la sexagénaire très portée sur le sexe (Ann-Margaret) à la serveuse sarcastique (Siobhan Fallon Hogan) en passant par le sourd idiot (Christopher Lloyd) sont délicieux. Braquage à l’ancienne rend aussi hommage au système D : le vol se fait avec trois bouts de ficelle.
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La serveuse Mitzi (Siobhan Fallon Hogan) dans Braquage à l’ancienne |
Cette bataille de trois David contre l’établissement Goliath rappelle le documentaire Merci, Patron ! de François Ruffin, où le réalisateur dupe le PDG de LVMH pour sauver de la faillite un couple de licenciés. On aime aussi la tranquille amoralité de Braquage à l’ancienne. La scène du premier braquage m’a rappelé Public Enemies de Michael Mann (2009), et ces voleurs au code d’honneur, refusant de toucher au portefeuille du contribuable.
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La joyeuse équipe de Merci Patron ! autour du réalisateur, François Ruffin (2016) |
Laissez passer vos aînés !
Moralité de Braquage à l’ancienne : une société qui ne prend pas soin de ses aînés est condamnée.